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Le monde d’avant s’éloigne 18 mars 2020
Mercredi 18 mars 2020, c’est le premier jour du confinement général et je regarde ce qui vient de se passer avec étonnement.
En fait, le Covid-19 n’est véritablement entré dans ma vie que jeudi dernier 12 mars. Avant, c’était une information plutôt lointaine qui ne faisait pas partie de mes préoccupations personnelles et dont j’analysais avec détachement la diffusion, essentiellement médiatique.
J’étais beaucoup plus concernée et intéressée par les élections municipales et la vie marseillaise que par ce lointain virus qui ne me semblait pas plus inquiétant que celui de la grippe. Mon sentiment était qu’on en faisait beaucoup pour une épidémie, somme toute peu exceptionnelle.
Il y a moins d’une semaine, la progression du Coronavirus était une information qui me paraissait relever davantage de l’agitation médiatique que de la réalité locale.
Mercredi 11, il se trouve que j’avais un rendez-vous à l’hôpital de la Conception pour un contrôle de santé. Absolument rien de spécial ne se passait à l’hôpital sinon que, lorsque j’attendais, j’ai entendu une infirmière dire à une autre qu’on lui avait demandé de compter les draps à usage unique et qu’elle le faisait sans en voir la nécessité véritable.
Jeudi, je suis allée à la clinique Bouchard pour la suite de mes soins. Rien de particulier ne m’a frappée sinon une réserve sur des reports qui pouvaient arriver dans les jours prochains. J’ai vaqué ensuite à mes occupations habituelles, j’ai fait des courses, discuté avec des vendeurs dans des magasins, etc… Rien n’était différent d’avant.
Sinon qu’on annonçait une allocution du président de la République pour 20h.
C’est ce premier moment qui m’a fait prendre conscience qu’on entrait dans une crise sanitaire grave et bien réelle, qui allait nous concerner ici et maintenant. Les premières recommandations présidentielles sont restées relativement modérées. L’annonce est faite du début de l’épidémie, de son inéluctable propagation et des difficultés à venir. En fait, ce qui me frappe, c’est la fermeture des institutions scolaires. Tout le reste du discours est de bon sens plus que véritablement nouveau. Il y a une accentuation des précautions mais rien encore qui soit vraiment contraignant.
D’ailleurs, le lendemain, je pars me balader dans les collines comme j’avais prévu de le faire et sans envisager quoi que ce soit de particulier. Nous sommes le vendredi 13 mars. Il fait beau. J’envisage de rester déjeuner à la campagne et je m’arrête dans un supermarché de Roquevaire pour acheter de quoi déjeuner. Là, j’ai ma première surprise : à 10h, le magasin est plein de gens qui remplissent des cadis de pâtes dont la vente est déjà limitée à 3kg par personne, de papier hygiénique, de boîtes de conserve, etc. On est plusieurs à n’avoir que le nécessaire pour la journée et on s’étonne de ce comportement massif de précaution. Il y a beaucoup de remarques sur la psychose du manque et je n’y vois pour ma part que le caractère moutonnier et peu civil de la population générale. On apprend cependant que les manifestations contre le réchauffement climatique devraient être annulées mais tout cela reste vague.
Le soir, les médias commencent à changer de ton à propos des élections municipales. Elles sont maintenues, comme semblent l’avoir demandé de nombreux élus mais des précautions y sont associées. Le coronavirus est toujours présenté dans sa phase d’entrée en France et on décompte des malades en nombre très limité. La tension monte mais, pour ce qui me concerne, j’attribue cette agitation à ces pratiques médiatiques détestables de vouloir faire le buzz et le scoop avant la concurrence. D’ailleurs, le lendemain, samedi 14 mars, je vais faire mes courses hebdomadaires tout à fait comme d’habitude. Il y a du monde lorsque j’arrive vers 10h mais aucune précaution vraiment particulière. Les queues aux caisses sont longues mais serrées. Dans ce magasin des quartiers Sud, les cadis ne sont pas très différents des autres jours. La logique de réserve des habitants de Roquevaire n’a pas encore touché la population de ce quartier de Marseille. Par contre, changement brusque de régime vers 10h30 – 11h, alors que je suis encore dans la queue d’une caisse, la direction du magasin décide de ne plus laisser entrer les gens dans le magasin qu’en fonction de la place à partager. Des agents de sécurité tiennent la porte et organisent une queue extérieure avec distance de sécurité entre les personnes. Je m’en aperçois en sortant du magasin et je commence à me demander si tout cela va durer. Une atmosphère mi-figue, mi-raisin s’installe. Les choses changent un peu (des queues, moins de voitures) mais pas vraiment. D’ailleurs, j’avais programmé une balade urbaine dans les quartiers Nord avec un groupe et je m’y rends à 14h. Nous sommes une bonne trentaine à suivre nos guides sans aucune précaution. Nous parlons urbanisme et qualité des politiques publiques marseillaises tout l’après midi en traversant Bougainville, Les Crottes, Smartseille, le marché aux puces, la Cabucelle où nous prenons un pot de l’amitié tous ensemble vers 17h. Le groupe est plutôt militant et nous nous interrogeons sur le sens des mesures de lutte contre le COVID-19. Nous envisageons, sans vraiment y croire, qu’un confinement peut être décidé la semaine suivante mais nous essayons davantage d’analyser les implications socio-politiques de cet évènement que sanitaires.
Le premier ministre parle le soir mais le propos reste incertain. Les établissements recevant du public seront fermés (bars, discothèque, salles de spectacle…) et les déplacements limités. Les élections ne sont pas annulées.
Que faut-il en penser ?
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Le monde d’avant est encore là 18 mars 2020
Dimanche 15 mars, c’est le jour du premier tour des élections municipales et nous y allons à pied. Des mesures sont prises pour qu’on fasse la queue éloignés les uns des autres et que deux personnes seulement entrent en même temps dans la salle où l’on vote. Pour suivre les consignes, j’ai pris mon propre stylo mais je n’ai aucune protection. Nous rencontrons des voisins et des amis que nous saluons sans les toucher pour suivre les consignes présidentielles mais nous plaisantons sur les mesures de sécurité du bureau de vote. Manifestement personne ne se sent vraiment concerné. Les médias commencent à parler plus sérieusement de confinement mais on préfère encore parler de « distanciation sociale », terme inintelligible et bien mal approprié. Le soir, le covid-19 fait la place aux résultats des élections et reprend un rôle secondaire. C’est plutôt par la question de l’annulation ou non du second tour des élections qu’il se montre dans les débats qu’en tant que drame sanitaire. De toutes façons, il y a encore peu de personnes contaminées, hospitalisées ou décédées. Une allocution présidentielle est programmée pour lundi 16 à 20h et l’on ne sait pas encore si le second tour sera annulé.
Lundi 16, les choses s’aggravent et se précisent mais sans grand chambardement encore. Toutefois, je décide d’annuler une installation téléphonique chez ma mère de 93 ans pour ne pas prendre le risque de laisser entrer quelqu’un chez elle. J’appelle Orange et je demande l’annulation de la venue du technicien le matin même. L’employée qui me répond n’a manifestement reçu aucune consigne car elle me dit que je ne peux pas annuler un rendez-vous si je ne le fais pas au moins 48h en avance. J’argumente sur la situation nouvelle et l’âge de ma mère. Elle décide d’aller demander à son chef ce qu’il faut faire. Clairement les informations commencent à passer mais de façon approximative car elle accepte ma demande et m’explique ce que je devrai faire pour reprendre rendez-vous. Ce problème réglé, je me dépêche d’aller chez le dentiste qui a avancé mon rendez-vous pour cause de fermeture du cabinet aujourd’hui. Un contexte inhabituel crée une atmosphère étrange chez le dentiste mais rien qui ne paraisse très inquiétant. Je lui demande cependant quoi faire si je souffre puisque le cabinet ferme. Il plaisante et me conseille « d’aller mettre un cierge à ND de la Garde ». Je ne savais pas alors que ce ne serait bientôt plus permis ! Je reprends ensuite le fil de mes activités et je me rends chez un marchand de fruits et légumes où aucune précaution d’aucune sorte n’est prise. Il y a plus de monde que d’habitude pour un lundi matin mais rien d’autre.
Le soir, la deuxième allocution présidentielle a lieu et cette fois le propos est plus dramatique. Nous sommes en guerre. Le confinement n’est pas nommé mais il est sous-jacent aux propos présidentiels. L’annulation du second tour des élections n’est pas actée mais elle est implicitement renvoyée à la décision gouvernementale du lendemain. La dramatisation est toute entière axée sur la crise sanitaire et ses conséquences sociales, économiques, nationales. Jeudi 12, Emmanuel Macron laissait filtrer un changement dans son libéralisme fermement défendu jusque-là. Les services publics semblaient reprendre quelques sens dans la gestion collective mais tout cela semblait bien convenu. Lundi 16, le propos était quasi humaniste et philosophique et l’appel à l’union sacrée des Français résonnait comme l’écho des souffrances historiques.
Bref, pour en revenir à mon petit quotidien personnel, je me suis dit qu’il me restait jusqu’à mardi midi pour régler tout ce que je pourrais avant le confinement. Je n’ai à aucun moment pensé que je serai malade, que la morbidité était extrême, que la question médicale allait dès le lendemain nous occuper entièrement.
Toute la journée, j’avais ressenti le caractère étrange, inédit des événements mais pas vraiment leur caractère violent et mortel. Durant ces quelques jours, et depuis le début de la contamination en Chine, j’ai bien sûr réfléchi à ce que pouvaient signifier ces événements mais je ne les ai pas ressentis comme quelque chose qui pouvait vraiment changer ma vie. D’ailleurs rien n’avait encore changé dans ma vie.
Mardi matin 17 mars, c’était les dernières heures avant le confinement. J’ai couru toute la matinée pour faire des envois que je jugeais urgents, aller chercher des commandes que j’avais déposées la semaine précédente dans des magasins qui allaient fermer, etc. Et surtout, il me fallait régler les changements dans la vie quotidienne de ma mère. Son infirmière pourrait-elle continuer à venir tous les jours, et son aide-ménagère ? Qu’avait-elle en réserve pour se nourrir pour plusieurs jours ? Comment allait-elle organiser sa solitude ? etc.
Il était devenu manifeste qu’il fallait changer mon quotidien mais j’étais encore dans l’idée d’un événement subit dont on ne savait pas vraiment la durée. En fait, dans l’idée du provisoire. La petite heure de queue que j’ai faite devant le super marché pour approvisionner ma mère et le grand vide des rayons de ce magasin m’ont ramenée à la réalité. Rien n’était plus comme avant. Même les souk el fellah de l’Algérie des années 80 étaient mieux achalandés. Le personnel du magasin me dit que c’était l’approvisionnement, la distribution des marchandises qui était défaillante. Quand même, en quelques heures, plus rien dans un magasin, j’étais effectivement stupéfaite et bien prête à entendre que « nous étions en guerre ».
Après avoir réaménagé la cuisine de ma mère pour qu’elle puisse se débrouiller un peu mieux si son aide à domicile venait à manquer, je suis rentrée chez moi en voiture dans des rues presque vides. A 10h, tout paraissait normal, à 12h30 j’étais en infraction !! Le reste de ma journée s’est passée à annuler les rendez-vous que j’avais pris avant, non pas bien avant mais la semaine d’avant, quelques jours avant !
Le premier ministre annonça le report du second tour des élections municipales et le confinement. J’avais l’impression d’avoir fait la course depuis deux jours pour laisser une situation claire dans mon agenda du monde d’avant.
Aujourd’hui mercredi 18, je suis restée à la maison avec mon compagnon. J’ai des provisions, il fait beau, je peux sortir dans mon jardin et j’ai une flopée de travail en retard. Ma fille est chez elle avec beaucoup de travail à domicile mais quoi de plus habituel pour une universitaire.
Alors qu’est-ce qui a changé ? Car quelque chose a déjà changé…
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Des choses nouvelles se passent 20 mars 2020
Vendredi 20 mars 2020, ça fait 3 jours que nous sommes confinés et j’ai parlé ce matin avec une amie contaminée. Ça a bien l’air d’exister pour de vrai !
Dans mon ordinaire, rien n’est très différent d’avant. Pour le moment, je n’ai nul besoin de sortir et je n’ai pas encore affronté l’extérieur et l’attestation de déplacement dérogatoire. Dans les médias, les polémiques stériles et conjoncturelles ont repris place. Voilà bien quelque chose de stable. Aujourd’hui, c’est le manque de masques de protection qui fait débat. Ça c’est bien, c’est le monde d’avant. On parle pour ne rien dire de choses peu importantes : qui a fabriqué ou non des masques, qui les livre ou non, qui les vole, qui est responsable, etc… Un petit bémol cependant, on entend maintenant : « il faudra en rendre compte après… ». Certes, certes mais il y aura probablement bien d’autres choses à évaluer après !
Je continue à recevoir de nombreux mails pour m’indiquer tout ce qui est annulé. C’est fou le nombre de manifestations, séminaires, conférences, spectacles, etc. qui faisaient partie de ma vie et qui s’entassent maintenant dans la case « annulation ». Avant, c’était mon quotidien et maintenant je vais m’en passer !
Pour le moment, je m’en fiche un peu, ça me fait du calme et ça me libère du temps mais peut-être que certains vont me manquer dans quelques jours…
Dans ma file continue de mails, en voici un, tout à fait exceptionnel… Je ne pensais pas qu’une telle chose puisse arriver. On doit bien avoir changé de monde en fin de compte.
Je devais me rendre au Portugal le 28 mars prochain pour un séminaire européen de recherche sur un programme auquel 13 pays participent. J’avais pris un billet d’avion sur Ryanair qui a une ligne Marseille-Porto. Evidemment la rencontre a été annulée et j’ai dû essayer d’obtenir un remboursement pour mon logement et mon vol. AirBnB et mon hôte ont répondu favorablement en quelques jours mais évidemment pas Ryanair qui a gentiment proposé un changement de date mais exclusivement pour la même destination !!! Pour avoir déjà essayé d’obtenir quelque chose de Ryanair, je n’en étais pas étonnée. Mais ce matin, grande surprise, Ryanair se fend d’un mail pour annoncer qu’ils remboursent intégralement tous les vols ou les modifient au choix. Je clique sans conviction sur le remboursement, en me disant que j’allais passer de fenêtres, en codes, en trucs qui ne marchent pas. Mais pas du tout, j’ai tout de suite été dirigée vers une fenêtre simple sur laquelle je n’ai eu qu’à écrire mon nom et les vols dont je demandais le remboursement. Il paraît que je serai remboursée dans quelques jours. Je n’en reviens pas… et ça me donne à penser sur les formulaires qu’on nous envoie quand nous demandons des informations ou des changements ou des remboursements d’une façon générale. Je les trouve toujours confus, bloquants, obscurs et comme contaminés par des exigences techniques informatiques que je ne suis certainement pas capable de comprendre…
Et bien pas du tout, ils peuvent faire des fenêtres simples et pratiques. Dois-je en conclure qu’on en fait des compliquées pour perdre le client ? Allez, je suis mal pensante… pour une fois qu’ils font quelque chose de bien !
Donc quelque chose a changé ! A moins que… Non, non, je ne vais pas critiquer… « Pourvu que ça dure » comme disait une mère célèbre !
En fait, en réfléchissant, depuis une toute petite semaine j’ai reçu plusieurs messages intéressants. Mes collègues du programme européen ont envoyé des messages amicaux disant en quelques mots la situation dans leurs pays. Et bien, je n’ai guère envie de vivre en Grande Bretagne et je serais terrorisée de la situation en Espagne. Pour l’Autriche, c’est « tout va bien car nous sommes disciplinés et intelligents » ! J’ai aussi reçu des messages de plusieurs collègues qui ont mis en place des groupes de réflexion sur les activités scientifiques, sur les problèmes politiques du moment, sur les évolutions sociales, sur ce qu’on pouvait tirer de l’expérience du confinement, etc. Ce qui change des logiques de blog ou réseautages habituels, c’est une volonté d’analyse, d’écoute et de partage. Si l’on se met à partager dans le monde si rude de la recherche, ça doit être que quelque chose a changé.
Bon, on verra à l’usage, ça ne durera peut-être pas aussi longtemps que les impôts.
Par cette superbe première journée du printemps, je vais poursuivre mes réflexions sur le monde d’avant et sur l’éventuelle rupture virale…
Sylvabelle 4
Où on en est après 12 jours de confinement ? 29 mars 2020
Il y a une éternité, au début du confinement, j’avais, après l’étonnement, l’impression que la vie n’avait pas beaucoup changé. C’était sans doute vrai. Il faut du temps pour toutes choses.
Maintenant, nous sommes entrés dans un confinement assumé, dans une inquiétude sanitaire partagée, dans un immobilisme économique important. Il n’y a plus de doute, le monde d’avant s’efface.
Dans mon quotidien, les activités se sont cantonnées à mon intérieur et surtout à mon ordinateur. Par chance, j’ai un jardin qui me permet d’aller dehors sans sortir. Je mesure l’immense privilège que cela constitue en ce moment.
Je ne suis donc sortie que 3 fois en près de 15 jours. Une fois pour faire des courses rapides, le 23. Il y avait pas mal de monde dehors et une atmosphère lourde dans le magasin. Je suis ressortie le 27 pour renouveler mes provisions. A ma grande surprise, les arbres des rues ont des feuilles. Je m’étonne que les plantes ne perçoivent pas le confinement !
Dans le supermarché, par contre, l’organisation a remplacé l’inquiétude. Clairement, on n’est plus dans l’improvisation et tout le monde semble s’adapter à tous les changements, en les respectant plus ou moins.
Ce même sentiment d’adaptation approximative s’est imposé le sur-lendemain lorsque j’ai changé de quartier pour aller apporter des provisions à ma mère. On ne peut pas dire que les gestes-barrière étaient parfaits, loin de là, mais on est dans une logique d’à peu près plutôt surprenante. Dans le quartier, pas de tension, par contre beaucoup de contrôles policiers sur la Corniche. C’est sûr, par ce beau dimanche de printemps, les gens ont envie de sortir et les règles d’usages pour l’extérieur, paraissent plus rudes et moins compréhensibles.
Depuis 10 jours, les fenêtres s’ouvrent à 20h pour l’applaudissement aux soignants. Je ne suis pas sure de bien en saisir le sens. On remercie, on veut être ensemble, on se rassure de la présence d’autrui, on veut être de l’événement… ? Ces solidarités de « façades » me mettent mal à l’aise. Je n’étais pas « Charlie » et j’hésite à ouvrir ma fenêtre à des comportements moutonniers.
Et cela nous ramène, à la fin de mon message précédent. Il nous reste à réfléchir puisqu’on ne peut pas faire grand-chose.
Alors là, je dirais qu’on est gâté. Il y a quelques semaines, des voix s’élevaient pour dire qu’on entendait peu les intellectuels sur les questions sociales du moment. Et bien, ce n’est plus le cas. Je me demande même qui n’y va pas de son analyse déterminante sur la crise, l’avant, l’après, le sens, la révolte, le changement, etc.
Curieusement, tout le monde est globalement d’accord et chacun répète à l’envi des propos sur les limites du système économico-politique d’avant, sur les faiblesses des choix politiques du moment dans la gestion de crise et sur cette fameuse rupture que va générer sans conteste la crise sanitaire. On a ensuite des supputations plus ou moins argumentées sur un changement dans la continuité ou sur un changement radical.
Pour résumer, on peut penser qu’on va tous devenir meilleur, que l’égalité de classe, de sexe, de race va s’étendre sur l’humanité repentie qui dans le même temps s’appliquera à un comportement écologique nécessaire .
Ou bien il restera des méchants et des gentils.
Après la guerre de 14, on a dit « plus jamais ça », on a vu le résultat.
Franchement, on a bien besoin de réfléchir mais il est au moins une chose positive en temps de confinement, c’est qu’on peut lire des foultitudes de textes en tous genres sur ces questions fondamentales.
Les historiens d’après ne manqueront pas de documentation !
Sylvabelle 5
Par quoi commence-t-on ? 02 avril 2020
Photo propriété de Marsactu
D’abord depuis dimanche, le confinement commence à me marquer. Je deviens moins réactive. Je travaille un peu, plutôt mollement et je me trouve bien des excuses pour m’amuser. En plus, je suis sortie deux fois en 3 jours alors que j’étais plus raisonnable avant.
Pour la première fois, je me suis sentie autorisée à sortir pour me dégourdir et prendre l’air. Une heure de balade au soleil m’a permis de voir la ville silencieuse et printanière dans laquelle se promènent quelques personnes sportives. Ça m’a tout de suite donné envie de classer les sportifs très sportifs et les sportifs très tranquilles dont je fais partie. Sur un micro territoire, on peut voir 2 ou 3 fois les premiers qui courent en rond avec entrain.
J’avais décidé pourtant de réfléchir.
En fait, c’est d’abord l’énervement qui m’a prise, voire peut-être même la colère, devant l’avalanche de textes répétitifs, ampoulés, pédants et creux que j’ai subie.
Après les rengaines sur le manque de masques, de respirateurs, de tests, d’équipements médicaux et les responsabilités à dénoncer, il a fallu subir les comparaisons internationales et les remerciements, façon festivals, à toutes les personnes qui assurent notre survie.
C’est triste cet engouffrement médiatique car ça décrédibilise le propos. C’est vrai qu’on s’émerveille de l’abnégation des autres et qu’on leur en sait gré. C’est vrai aussi que la gestion de l’épidémie aurait pu être meilleure. Et c’est aussi intéressant de voir comment les autres ont fait ailleurs. Mais bon, si on n’a rien à dire de particulier sur tout ça, il ne sert à rien de se hausser du col pour en parler.
Maintenant que les équipements sont installés (enfin plus ou moins !), passons à l’étape suivante. Que va-t-il se passer après la crise sanitaire ?
Rebelotte, tout le monde sait, envisage, prophétise…
Si je regarde dans ma boule de cristal, je vois qu’on va bientôt avoir une chanson sur le report des élections municipales.
Fort heureusement, je vois aussi que beaucoup de scientifiques tentent d’analyser les situations, les contextes, les mouvements d’idées. Plusieurs enquêtes sont lancées dans toutes les disciplines qui devraient permettre de consolider des points de vue, à condition toutefois qu’on laisse du temps au temps. En infectiologie, il vaut probablement mieux se hâter mais en biologie, en sciences sociales, en études environnementales, etc…, les réponses ne peuvent pas sortir par magie du chapeau de quelques génies de la rapidité et encore moins de la communication !
Je vois également un grand nombre d’actions de solidarité ou d’ajustements ingénieux qui sont réconfortants. Il faut certes réfléchir mais c’est bien aussi d’agir concrètement. Du coup, ce diptyque me rappelle les éternelles oppositions militantes entre « réfléchir et agir ». Je pense surtout que chacun fait ce qu’il peut, essaie de s’y retrouver et continue selon ses choix de vie de toujours. Le changement dans la continuité, il faudra y repenser…
Et puis, j’aime bien les initiatives de ceux qui veulent rendre la vie vivable, amusante, intelligente : les artistes, les humoristes, ceux qui aiment les fleurs et qui voient encore le printemps… et qui fête le 1er avril !
Bref, le monde est surtout comme avant, avec des pédants, des moutons, des savants, des écolos, des créateurs, des politiques, des financiers…. La différence, c’est que maintenant ils ont peur !
J’ai un peu de mal à imaginer un futur meilleur mais ça m’intéresse bien de faire des scénarios prospectifs.
Sylvabelle 6
J’ai plus peur du monde d’après que du covid-19 15 avril 2020
Ça fait un mois que nous sommes confinés et que nous sommes entrés dans la réalisation des impossibles, des impensables, des tout à fait improbables : l’économie mondiale arrêtée, la solidarité d’Etat et l’argent qui coule à flot, le dévouement des uns et des autres, etc.
Après la stupéfaction de voir tout ce qu’on croyait impossible, se réaliser, les habitudes se prennent. On est confiné et, du coup, tout ce qu’on faisait avant s’estompe. On en vient à se demander pourquoi on donnait tant d’importance à des choses dérisoires. Et on commence même à s’ennuyer, après s’être inquiété ou amusé d’avoir tout ce temps disponible devant nous.
Notre quotidien est scandé par des informations qui tournent en boucle sur le coronavirus et on pourrait avoir le sentiment que plus rien d’autre n’existe : plus de réfugiés, plus de guerres, plus de famines, plus de réchauffement climatique, plus question de la biodiversité, de sécheresses mais plus non plus de productions artistiques ou culturelles, plus d’écoles, plus de savoirs (autres que sur le covid-19), etc. En fait, plus rien n’a l’air d’exister….
Même dans l’ordre politique, ce sont les allocutions présidentielles sur la situation sanitaire qui cristallisent toutes les attentions.
Une seule petite fenêtre s’ouvre qui s’essaie à donner à voir le monde d’après. Ça, on veut bien en parler, parce que c’est encore la crise qui en est le centre.
Ce grand chambardement que nous vivons génère l’opinion unanime selon laquelle une rupture est consommée et on ne vivra plus jamais comme avant.
Ce discours si partagé laisse en plan la question de savoir comment on vivait avant et qui vivait quoi, avant. Seule semble claire l’idée que nous vivions tous au temps de l’argent roi, dans un libéralisme financier dominant où les inégalités se sont développées largement. Plus jamais ça, est-ce plus jamais de pauvres, plus jamais de riches, plus jamais de violences, plus jamais de crises mal maîtrisées, plus jamais d’économie à l’arrêt, plus jamais de services publics dévalorisés, plus jamais d’écologie méprisée, etc…
Probablement mais pourtant pour l’heure, la question lancinante est plutôt « quand commence le monde d’après ? ». On veut sortir de la crise sanitaire, du confinement mais on ne veut déjà plus reprendre notre vie là où elle s’est arrêtée à la mi-mars. Si tous ces bouleversements dans nos vies étaient justifiés, on ne veut pas risquer à nouveau notre santé à l’extérieur, là où nous ne serons plus protégés. Tous les lieux deviennent suspects : ceux du travail, ceux des institutions, ceux des loisirs… et on ne sait plus trop si ce qui fait problème ce sont les risques sanitaires ou plutôt le sens que nous donnons à nos activités. Les soignants ne pourront pas rester sur le pont éternellement, les intellectuels dans leurs livres, les artistes dans leurs créations, les commerçants dans leurs affaires et tous ceux qui gagnent leur vie sans vocation particulière dans leurs emplois, comme avant. Par contre, il faudra bien que le chômage s’étale, que les banques fassent du profit, que les actionnaires reçoivent leurs dividendes, que la croissance permette le remboursement des dettes pharaoniques (et néanmoins totalement abstraites) que la crise a générées et donc que la planète y mette un peu du sien.
Tous ces discours récurrents traversent dans un flot continu notre vie et pour ma part, je ne suis pas sûre de m’y retrouver. C’est un peu comme si on était en pleine crise de schizophrénie sociale : toute l’injustice sociale doit disparaître mais toutes nos ressources sont mobilisées pour la maintenir. Les discours « verts » en sont une illustration parfaite. Toutes les erreurs qui ont conduit à la surexploitation de notre planète doivent être dépassées mais pour cela nous allons en augmenter l’allure. Et tout cela pour connaître à nouveau « les jours heureux » qui n’étaient peut-être pas si partagés que ça !
Bref, dans le train-train de la vie suspendue que nous procure la crise, l’inquiétude monte. Elle monte pour l’après dont on ne voit pas vraiment les perspectives.
Alors, si on se mettait quand même à faire des masques…
Sylvabelle 7
Au bord de la falaise 10 mai 2020
Déjà trois semaines depuis mon dernier billet. Trois semaines de train-train quotidien, d’habitudes nouvelles, de promenades dans tous les chemins et les escaliers de mon quartier, de gym par internet, de hauts et de bas, de dynamisme et de paresse. C’est comme si on se laissait bercer par les discours continus sur le coronavirus ou le covid-19, le nombre de morts et de personnes en réanimation, la situation dans les autres pays et selon les moments, l’accès ou non aux masques, les bienfaits de la chloroquine ou la nécessité du dépistage. Evidemment, la confusion s’installe du fait de l’absence de compétence sur tous ces sujets. Heureusement, nous avons été distraits de ces « informations » par la communication présidentielle sur la date du déconfinement. Tous les propos médiatiques se sont centrés sur ce nouveau grand problème et tous les aspects polémiques dont il est porteur. Les allocutions du premier ministre ont été disséquées et réinterrogées à l’infini. La communication s’est renouvelée sans que l’on quitte pour autant le centre de toutes nos préoccupations.
Toutefois, on peut dire que l’ensemble des questions brulantes liées au déconfinement a permis de voir que la population a changé profondément de rapport à la maladie. Alors qu’au début du confinement, on était stupéfait, incrédule et déconcerté, on voit nettement maintenant qu’on croit au Covid-19, à ses effets catastrophiques et à la nécessité de s’en protéger car c’est la peur qui domine les réactions de sortie du confinement. La question de la prévention des risques est générale et se porte sur les aspects les plus invraisemblables de la vie quotidienne. Certains craignent de reprendre le travail ou les transports en commun ou les déplacements doux dans la ville ou les dangers qui s’abattront sur leurs enfants ou leurs aînés, etc… D’autres s’enfoncent dans des stress ou des déprimes liés aux difficultés de la solitude, de la pauvreté, de la trop grande proximité familiale, etc. D’autres encore se font les cassandres d’un monde d’après terrifiant voire apocalyptique… Il est certainement plus difficile de sortir de la situation protégée des maisons que d’y entrer.
Dans la gestion politique de la crise, tout a été transgressé dans des proportions inouïes : le taux d’endettement de l’Etat, le paiement du chômage partiel, le logement des sans-abri, l’alimentation des plus vulnérables, la transformation des systèmes de santé, l’usage des voitures, le rapport à l’extérieur, les pratiques de loisir, etc… Il paraît clair pour tous que cela ne durera pas éternellement et que la fin du confinement marquera probablement la fin des solidarités.
Nous nous trouvons donc, en ce dernier jour de confinement, au bord de la falaise. Après avoir gravi le chemin improbable du confinement, nous sommes arrivés sur un vaste plateau où seuls les problèmes immédiats étaient gérés, et tout particulièrement ceux de la santé. La traversée a été plus ou moins chaotique, plus ou moins confortable. Elle a laissé des gens sur la route et épuisé les personnels de santé mais nous sommes maintenant au bout. Y-a-t-il des sentiers raisonnables pour redescendre dans le quotidien ? Faudra-t-il aborder des voies d’alpinisme qui ne s’ouvriront pas de la même façon pour chacun ? Y-a-t-il encore une plaine féconde en bas ? Aurons-nous des parapentes pour tous ? …
La métaphore est à peine forcée, tant la situation d’après comporte d’inconnu. Les intellectuels et les politiques ont pourtant donné de la voix tous ces temps derniers pour nous expliquer la reprise, l’organisation, le redressement ou le désastre, le désordre et l’effondrement. Mais tout fait peur : le retour aux valeurs du libéralisme financier antérieur ou la nécessité de mesures écologiques de lutte contre les méfaits de l’humanité. Rien ne semble acceptable, ni l’injustice sociale ni le partage des biens, ni les révoltes d’avant ni les transformations radicales.
Que l’on espère un retour au monde d’avant à l’identique ou un retour raisonné à des valeurs humanistes ou que l’on souhaite un bouleversement de ces valeurs trop anthropocentrées ou trop inégalitaires, on ne sait que penser, que faire, que choisir, que construire et c’est pour cela qu’on n’est pas loin de penser, qu’arrivés au bord de la falaise, nous risquons bien de ne faire qu’un grand pas en avant !